L'Amazonie équatorienne déchirée entre pétrole et biodiversité

01/03/2013 14:07

 

Mobilisation pour l'Amazonie équatorienne, déchirée entre pétrole et biodiversité

Le Monde.fr | 



Sous les coups du marteau-piqueur, un liquide noirâtre et visqueux se déverse sur le bitume devant une assemblée vêtue de masques et de casques de chantier. Mardi 26 février, une petite vingtaine de militants s'est rassemblée devant l'hôtel deluxe Marriott, dans le 13e arrondissement de Paris, pour simuler un forage pétrolier. Le but du happening : dénoncer la volonté de l'Equateur d'ouvrir des pans entiers de l'Amazonie aux compagnies pétrolières.

"Le ministre des ressources naturelles non renouvelables d'Equateur, Wilson Pastor, rencontre aujourd'hui des groupes pétroliers français ici, explique Julien Bayou, chargé de campagne de l'ONG Avaaz, en pointant l'établissement. Le gouvernement équatorien présente en effet aux compagnies internationales un nouvel appel d'offres pour explorer et exploiter des zones de la forêt amazonienne riches en hydrocarbures."

La session, appelée Ronda suroriente, met ainsi aux enchères, depuis le 28 novembre et jusqu'en mai, onze blocs du sud-est du pays, soit une superficie de 4 millions d'hectares – l'équivalent des Pays-Bas. Les réserves de brut y ont été estimées à entre 370 millions et 1,6 milliard de barils. Dans le cadre de sa tournée visant à rencontrer de possibles investisseurs, Wilson Pastor s'est déjà rendu à Houston, aux Etats-Unis, en février, et sera à Pékin, en Chine, fin mars.

 

Les blocs mis aux enchères par le gouvernement équatorien.

 

"Nous dénonçons le double discours du président Correa, qui s'est toujours présenté comme un fervent défenseur de l'environnement alors qu'il souhaitevendre aux compagnies pétrolières des parcelles de forêt vierge intacte, ce qui causerait des dommages irréversibles pour les écosystèmes et la mise en danger des populations autochtones", lâche Gert-Peter Bruch, président de l'association Planète Amazone, dont les membres arboraient des pancartes "La terre n'est pas à vendre".

PROTECTION DE LA RÉSERVE YASUNI

Le socialiste Rafael Correa, fraîchement réélu président de la République le 17 février, avait poussé à la reconnaissance des droits de la Terre-mère (surnomméePachamama dans les cultures indigènes) lors de sa première élection en 2006, allant jusqu'à l'inscrire dans la Constitution deux ans plus tard.

Lire : En Equateur, le président de gauche Rafael Correa réélu dès le premier tour

Au nom de la protection de l'environnement, il a par ailleurs décidé de défendre le projet Yasuni ITT (du nom des gisements d'Ishpingo, Tiputini et Tambococha dans l'Amazonie équatorienne), un ambitieux programme visant à renoncer à l'exploitation des gisements renfermés dans la réserve naturelle Yasuni en échange d'une indemnisation internationale de 3,6 milliards de dollars étalée sur douze ans, une somme qui représenterait pour l'Equateur la moitié du manque àgagner.

 

Dans la forêt amazonienne, le 17 février 2005.

 

Le parc, qui s'étale sur 982 000 hectares, renferme en effet l'équivalent de 846 millions de barils de brut, soit pas moins d'un cinquième des réserves du pays. Mais il abrite dans le même temps 696 variétés d'oiseaux, 2 274 d'arbres, 382 de poissons, 169 de mammifères ou encore 121 de reptiles, soit l'une des plus grandes concentrations d'espèces au monde.

POLLUTION ET ÉMISSIONS DE CO2

Des écosystèmes qui pâtiraient d'une exploitation d'hydrocarbures. Selon des estimations scientifiques, un kilomètre de route entraîne la déforestation d'une centaine d'hectares. Or, un arbre permet d'absorber une tonne de dioxyde de carbone, l'équivalent des gaz émis par 500 voitures en un an. Le gouvernement équatorien a ainsi calculé que la non-exploitation des gisements de Yasunipermettrait d'éviter l'émission de 407 millions de tonnes de dioxyde de carbone(CO2), l'équivalent de ce que produisent par an le Brésil ou la France.

 

Seule une poignée de communautés autochtones évolue dans les blocs de forêt amazonienne que l'Equateur veut céder.

 

L'enjeu réside aussi dans la pollution des sols et des nappes phréatiques dans un environnement préservé, où évolue seulement une poignée de communautés autochtones. En témoigne la récente condamnation du géant pétrolier américain Chevron à une amende record de 19 milliards de dollars pour une pollution provoquée entre 1964 et 1990 dans la forêt amazonienne par une de ses filiales.

Lire : Chevron devra payer pour avoir pollué l'Amazonie

500 000 BARILS DE BRUT PAR JOUR

Malgré tout, l'industrie pétrolière, en particulier la société d'Etat PetroAmazonas et les groupes étrangers ENI (Italie) et Repsol (Espagne), poursuit son implantation, initiée dans les années 1980. Aujourd'hui, l'Equateur, plus petit membre de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP), produit autour de 500 000 barils de brut par jour. Le pétrole est sa principale source de devises.

"Rafael Correa, sous couvert de protéger le parc Yasuni, ouvre à la vente les parcelles limitrophes, qui abritent la même biodiversité", déplore Julien Bayou.

D'autant que les fonds récoltés depuis 2011 pour protéger le parc, via le PNUD (Programme des Nations unies pour le développement), n'ont atteint que 200 millions de dollars – même si l'Allemagne a annoncé, jeudi 21 février, qu'elle allaitoffrir à l'Equateur 34,5 millions d'euros, une somme qui ne sera pas versée à ce fonds mais s'inscrit dans le cadre de sa politique de coopération directe.

PÉTITION D'UN MILLION DE SIGNATURES

Il y a quelques mois, la communauté Kichwa de l'île Sani a alors appelé la communauté internationale à protéger la zone. S'en est suivi une pétition, publiée le 23 janvier par Avaaz, qui a dépassé la barre du million de signatures.

 

La communauté Kichwa de l'île Sani a alors appelé la communauté internationale à protéger la zone.

 

"L'île Sani a dit non au pétrole. Ce n'est pas facile parce que les hydrocarbures dominent. Nous ne sommes qu'un petit grain contre une grande entreprise. Mais nous le faisons non seulement pour nous, mais pour le monde", avait déclaréPatrick Jipa, un porte-parole de la communauté, lors d'une conférence de presse à Quito, rapportée par le Guardian.

Avaaz a déjà organisé plusieurs campagnes pour protéger l'Amazonie. Mais le directeur de campagne Pedro Abramovay estime qu'aucune n'a reçu un tel soutien. Et d'assurer : "C'est une histoire de David contre Goliath qui fascine les gens. Notre mobilisation a permis d'amplifier une petite voix en la partageant avec d'autres dans le monde."