Crise requins à la Réunion le point de vue des scientifiques

02/04/2015 11:08

Compte rendu du programme CHARC

 

 

Pourquoi , à la Réunion les requins bouledogues et tigres s'approchent-ils si près de la côte Ouest ? Les scientifiques de l'Institut pour la recherche et le développement (IRD) chargés de comprendre la raison de leur fréquentation viennent de rendre leurs premières conclusions après 3 ans d'observation dans le cadre du programme CHARC (Connaissance de l'écologie et de l'Habitat de deux espèces de Requins Côtiers sur la côte Ouest de La Réunion).Une étude qui remet en cause pas mal d 'idées reçues !


 

« Pour cette première étude du genre à la Réunion » commente , le coordonnateur du programme Marc Soria, nous avons posés 52 balises acoustiques et réalisés des marquages sur 38 requins bouledogues et 42 requins tigres). Première constatation importante, les observations montrent que ces animaux ne sont pas inféodés à un territoire en particulier. Ils sont capables de faire le tour de l'île et explorent la zone sur plusieurs km  » indique Marc Soria. Sur la côte Sud-Ouest, ils sont présents toute l'année mais principalement au cours de   la période de transition entre l'été et l' hiver austral (entre mars et juin), une période qui correspondrait également à une période de reproduction sur certains sites de la côte Ouest: Etang du Gol à Saint Gilles. « Cela reste une hypothèse pour l'instant , mais il se pourrait que ces sites soit des lieux d'accouplement souligne Marc Soria, car sur 18 requins étudiés, 12 d'entre eux étaient matures à cette période. Les accouplements seraient bisannuels car leur gestation est longue: entre 9 à 11 mois avec une portée maximale connue de 20 petits.

Autre fait avéré, "ces espèces peuvent se déplacer sur de longues distances » déclare Marc Soria ,ainsi un requin-tigre marqué par l'IRD en décembre 2012 a été pêché 9 mois plus tard le 28 août 2013 sur la côte ouest de Madagascar, un autre requin tigre marqué à La Réunion en mars 2013 a été détecté en Afrique du Sud à 50 km de Durban. De plus, le suivi sur 6 mois, de deux requins bouledogue a permis de montrer que ces requins pouvaient s'éloigner à plus de 100 km de la côte réunionnaise pour ensuite y revenir.

Des comportements liés à l'environnement 

Le deuxième facteur important, mais également à confirmer, concerne le comportement alimentaire des requins: "L'état des ressources disponibles près des côtes influencerait la présence des requins-bouledogues". Ainsi, "lorsqu'elles diminuent, les requins se rapprocheraient davantage des côtes pour se nourrir", souligne Marc Soria.

Les observations montrent une zone d'occupation plus au large la nuit et le matin puis une tendance à se rapprocher des côtes dès le début d'après-midi, période au cours de laquelle, la majorité des requins ont tendance à remonter en surface pour occuper davantage la partie supérieure de la colonne d'eau et, à partir de 17 heures, au crépuscule, on note une activité accrue qui correspondrait à une période de chasse. Leur alimentation est constituée principalement de poissons et provenant essentiellement des ressources côtières. D'autres facteurs ont été mis en évidence qui favoriseraient la présence des requins bouledogue comme la hauteur de houle, la pluviométrie ou encore la turbidité des eaux de surface. «  A la Réunion, remarque Marc Soria, certains requins se déplacent énormément au cours de la journée et se serait intéressant d'étudier leur comportement par rapport à ceux des populations voisines occupant des zones plus riches en poisson comme aux îles éparses : Juan de Nova, Europa ou de Madagascar pour voir si ces déplacements journaliers sont liés ou pas à la densité et la disponibilité en proies. Pour Marc Soria si l'on veut supprimer tout ou partie des requins, on court le risque d'avoir des effets de cascade trophique: en supprimant les animaux en haut de la chaîne alimentaire certaines espèces situées à des niveaux inférieurs de cette chaîne pourrait proliférer et entraîner un déséquilibre de l'ensemble du système. De plus les requins sont connus pour jouer un rôle important dans l'écosystème marin en éliminant les animaux les plus faibles ou malades.

«  Nous sommes partis de presque rien constate Marc SORIA et il reste bien des pistes à étudier sur le comportement des requins tigre et requins-bouledogue, sur leur état physiologique ou encore sur l'effet à plus grande échelle des modifications environnementales liées au réchauffement climatique. Nous souhaiterions poursuivre ces études scientifiques en les comparant avec d'autres et en collaboration avec plusieurs chercheurs mais pour l'instant la suite n'est pas envisagée sur un plan financier du moins".

 « On a accusé la Réserve marine de La Réunion d'être un pôle d'attraction pour les requins souligne Pascale Chabanet, la directrice de l'IRD à La Réunion, biologiste de formation, alors que les ressources en poissons sont faibles dans son périmètre, 10 fois plus faible par exemple que sur Europa dans les Iles Eparses. Les cages aquacoles en mer ont été également pointées du doigt, accusées de sédentariser les requins. Grâce à une caméra fixée sous une cage aquacole, nous avons montré que la présence des requins bouledogue était irrégulière sur le site. Ces cages constitueraient plus un point d'attraction qu'ils visitent sans y rester. Les accusations sont ainsi construites sur des idées qui n'ont aucun fondement scientifique". Depuis une trentaine d'années,  le littoral de la Réunion subit de grands bouleversements du fait de la densification de l'urbanisation et leurs conséquences (constructions, pollutions, ...) qui ont entrainé une dégradation des récifs coralliens. Celle- ci est dû à de nombreux facteurs : érosion du bassin versant, mortalité des coraux, surpêche des poissons, eutrophisation de l'écosystème récifal aujourd'hui dominé par des algues. Un lagon en bonne santé est extrêmement coloré que cela soit par les poissons ou les coraux, mais à la Réunion, le lagon est de plus en plus dominé par des couleurs sombres, des algues notamment. C'est en partie pour restaurer un écosystème fortement dégradé que la réserve a été crée en 2007 sur 40 km de côtes, sur une surface de 35 km2. Seul 5% est classée en réserve intégrale. « En fait, résume Pascale Chabanet cette crise requin pose la question de la place de l'homme dans la nature. Faut-il lutter ou essayer de mieux vivre avec elle ? L'océan est un milieu naturel et il est illusoire pour moi de chercher à le dominer. » 


 

Myriam Goldminc