Découverte d'un nouvel écosystème dans les grandes profondeurs océaniques

20/03/2013 18:40

Découverte d'un nouvel écosystème dans les grandes profondeurs océaniques 

eau_oceans                                                          © Armand Daydé

Une équipe de chercheurs danois, français, américains, allemands et japonais[1], a mis en évidence l'existence d'un écosystème constitué de micro-organismes dans la croûte océanique. Survivant grâce à une source d'énergie directement issue des réactions chimiques entre les roches et l'eau de mer, ces microbes n'avaient jamais été identifiés auparavant.

La découverte d'une biosphère profonde dans la croûte océanique a suscité un fort intérêt dans la communauté scientifique internationale, notamment du fait de l'étendue de cet environnement : "La croûte océanique couvre 60% de la surface de la terre. C'est le plus large écosystème de subsurface de la terre. Si on considère qu'environ 2% des océans sont contenus dans les interstices des roches volcaniques, la découverte de microorganismes associés à ces roches pourrait ouvrir de nouveaux horizons quant aux limites géographiques de la vie sur terre" souligne Olivier Rouxel, chercheur à l'Ifremer.

L'étude publiée présente en effet de nouvelles preuves que la biosphère profonde ne se limite pas aux seuls sédiments océaniques et aux sources chaudes, mais s'étend également aux roches volcaniques.

Les micro-organismes ont été trouvés dans des échantillons de la croûte océanique formée il y a 3,5 millions d'années au large de la côte ouest américaine (dorsale Juan de Fuca). Vivant dans des conditions extrêmes, à plusieurs centaines de mètres de profondeur des grands fonds océaniques, ces micro-organismes subissent une forte pression, avec des températures allant jusqu'à 70°c dans un milieu pauvre en oxygène. Les scientifiques ont prouvé qu'il s'agissait bien de micro-organismes vivants et non pas de fossiles.

L'hydrogène, source d'énergie potentielle pour cette biosphère souterraine

En milieu volcanique, en l'absence de lumière et de substrats organiques, les microorganismes doivent trouver une source d'énergie alternative pour survivre. Certains organismes peuvent utiliser l'hydrogène comme source d'énergie et convertir le dioxyde de carbone dissous en matière organique et méthane. Il s'agit d'une source d'énergie directement issue des réactions chimiques entre les roches, notamment le fer des minéraux, et l'eau de mer.

Olivier Rouxel souligne que "l'effort continu des équipes de l'Ifremer, en lien avec nos partenaires internationaux, permettra à terme de mieux comprendre les interactions géobiologiques dans ces environnements extrêmes. Un jour, nous allons pouvoir apporter des éléments de réponse sur les conditions d'apparition de la vie sur terre ou encore sur le potentiel de développement de la vie sur les autres planètes".

Une découverte permise grâce à une technologie de pointe

Jusqu'à présent, il était difficile de prouver l'existence d'une telle biosphère souterraine car les techniques utilisées n'étaient pas adaptées aux environnements volcaniques. Chaque équipe scientifique impliquée a utilisé les dernières technologies pour faciliter cette découverte. Les techniques de marquage moléculaire d'ADN et d'analyse isotopique du carbone et soufre – qui n'avaient jamais été combinées lors des études précédentes, se sont montrés particulièrement efficaces.

L'équipe du laboratoire Géochimie et Métallogénie de l'Ifremer a quant à elle développé des techniques géochimiques pointues utilisant notamment les équipements du Pôle Spectrométrie Océan[2].

L'Ifremer a une longue tradition de recherches scientifiques sur les environnements océaniques profonds. Dans ces milieux extrêmes où les contraintes sont très fortes, l'acquisition de données est étroitement liée au progrès technologique en matière d'échantillonnage, de suivi et d'analyse. Des outils innovants sont actuellement développés sur le Centre Ifremer Bretagne à Brest : systèmes d'observation en continu in situ, approche géophysique tridimensionnelle, techniques de culture de microorganismes sous haute pression et à haut débit, géochimie isotopique, etc.
Cet axe de recherche est actuellement approfondi dans le cadre des travaux menés au sein du Labex Mer « l'Océan dans le changement »[3], auquel l'Ifremer participe.

Notes

  1. University of North Carolina (USA), University of Michigan (USA), Imperial College London (UK), Universität Bremen (Germany), Aarhus Universitet (Denmark), Japan Agency for Marine-Earth Science and Technology (JAMSTEC), Massachusetts Institute of Technology (MIT), United States Geological Survey (USGS), Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI)
  2. Le Pôle Spectrométrie Océan concerne un ensemble d'équipements innovants permettant l'analyse des éléments chimiques en trace et des isotopes dans les échantillons naturels d'origine géologique et biologique. Le projet associe l'UBO (IUEM), le CNRS et l'Ifremer.
  3. Le laboratoire d'excellence en recherche marine "L'océan dans le changement" a été officiellement lancé le 3 novembre 2011. Son objectif est de réunir les meilleurs chercheurs en sciences et technologies marines pour renforcer les connaissances et la compréhension du fonctionnement de l'océan dans le contexte particulier du changement climatique. Le LabexMER est coordonné scientifiquement par l'IUEM (Institut Universitaire européen de la mer) et associe 700 chercheurs (dont plus de 500 permanents) de 11 unités de recherche du grand ouest : l'Université de Bretagne occidentale (UBO), l'Université de Bretagne-Sud (UBS) et l'Université de Nantes; l'Ifremer, le CNRS et IRD ainsi que l'Ecole centrale Nantes.

Référence

"Evidence for Microbial Carbon and Sulfur Cycling in Deeply Buried Ridge Flank Basalt" by Mark A. Lever, Olivier Rouxel, Jeffrey C. Alt, Nobumichi Shimizu, Shuhei Ono, Rosalind M. Coggon, Wayne C. Shanks, III, Laura Lapham, Marcus Elvert, Xavier Prieto-Mollar, Kai-Uwe Hinrichs, Fumio Inagaki, and Andreas Teske in Science, 15 March 2013. Vol. 339 no. 6125 pp.
1305-1308 ; DOI: 10.1126/science.1229240.

Auteur

IFREMER