Le Sauvetage des singes et le réchauffement climatique

12/02/2013 20:47

 

© Nick Ut/AP/SIPA
© Nick Ut/AP/SIPA

A l'occasion de la sortie du film Chimpanzés de Disneynature, la célèbre primatologue fait le point sur ses engagements pour la biodiversité et contre l'élevage industriel.

 

A 78 ans, Jane Goodall, la célèbre primatologue mondialement connue, entame une nouvelle tournée en France. Ce mardi 12 février, elle présentera en avant première au cinéma Le Rex le film « Chimpanzés » de Disneynature, pour lequel elle a été conseillère scientifique. Et le lendemain, elle sera devant les étudiants de Sciences Po pour un débat sur l'alimentation avec le PDG de Système U. L'occasion pour elle de revenir sur le dernier scandale alimentaire en date - de la viande de cheval, abattu en Roumanie, vendu pour du bœuf dans des plats préparés surgelés en Grande-Bretagne ! - et de plaider à la fois pour le developpement de l' agriculture bio et du végétarisme.

 

Pourquoi ce film « Chimpanzés » est important pour vous ?

Toutes les personnes qui iront voir ce film comprendront que les chimpanzés sont proche de nous. Qu'ils ont certainement leur propre personnalité mais que l'histoire d'Oscar, ce bébé chimpanzé dont la mère est portée disparue, et qui cherche une famille d'adoption, va les toucher. Certes cette histoire est un peu unique car en 50 ans d'observation des singes, je n'ai été témoin que d'une seule « adoption ». Mais ce film nous aidera certainement dans nos efforts pour les sauver.

Justement, malgré tous vos efforts (38 instituts Jane Goodall dans le monde, le programme « Roots and shoots » pour les jeunes, la création de sanctuaires dans les parcs nationaux) - la population des grands singes continue de décliner dans le monde. N'êtes-vous pas un peu découragée ?

Oui, je suis objectivement très inquiète du rythme de disparition des chimpanzés, comme d'ailleurs pour les éléphants et les lions. C'est pour cela que je voyage plus de 300 jours par an à travers le monde pour en parler. Je peux passer ma vie entière à les défendre mais si nous n'arrivons à mobiliser les jeunes générations à prendre le relais, tout cela aura été inutile. C'est pour cette raison que je me concentre aujourd'hui sur le programme « Roots and shoots » qui aujourd'hui est présent dans 142 pays, dont la France, mobilisant plus de 15.000 groupes de jeunes. Ce sont, eux, l'avenir.

Qu'elle est la plus grande menace pour les singes : le braconnage, la déforestation ?

Les deux. Cela dépend des pays où vous trouvez. Par exemple, en Tanzanie c'est la déforestation alors qu'au Gabon c'est le commerce illégal de la viande de singe. Dans les deux cas, c'est dramatique.

Parmi les grands singes qui sont les plus menacés : les chimpanzés ? Les bonobos ? Les gorilles ? Les orang-outans ?

Tous sont menacés à différents titres. Par exemple, les orangs-outans qui ne sont aujourd'hui plus que 50.000 sont menacés par l'exploitation de l'huile de palme. Mais pour les bonobos ou les gorilles de montagnes, ce n'est pas mieux. Les chimpanzés ont l'avantage d'être à la fois plus nombreux et surtout très charismatiques, comme le montre le film.

Pourquoi faut-il sauver les grands singes ?

Ce n'est pas seulement eux que nous devons sauver mais aussi les forêts tropicales qui les abritent. C' est un combat global pour préserver la biodiversité sur terre mais aussi lutter contre le changement climatique.

Dans un de vos récent livre « Nous sommes ce que nous mangeons », vous êtes très en colère contre la nourriture industrielle. Comment réagissez-vous à ce dernier scandale : de la viande de cheval venu de Roumanie et vendue pour du bœuf dans des plats préparés surgelés en Grande-Bretagne ?

Ce dernier exemple montre l'absurdité de nos modes alimentaires mais la viande de cheval est qu'un aspect du problème. Ce qui me met effectivement en colère, c'est la destruction globale de l'environnement par la production agricole intensive. L'élevage industriel des animaux me révoltent particulièrement, que ce soient pour les vaches, les cochons, les poules. Notamment le fait de les élever en batteries dans des espaces très réduits. Quelle cruauté ! En France, vous n'avez pas de quoi être fier des conditions de production de foie gras.

Quelle est la solution ? Manger moins de viande ? Devenir végétarien ?

La première solution, en tout cas la plus accessible à chacun, est effectivement de manger moins de viande. Moi, je suis devenue végétarienne dans les années 70 après avoir lu un livre terrifique, « Animal Liberation » de Peter Singer. Tout le monde devrait également réfléchir que nous ne sommes pas vraiment des carnivores et que nos intestins sont particulièrement longs, si bien que la viande peut parfois ester trop longtemps dans nos boyaux. Moi, je me sens mieux, plus en forme, depuis que je suis végétarienne...

Vous vous êtes prononcés pour l'agriculture biologique, mais peut-elle nourrir le monde ?

Oui, sans aucun doute. En 1990 aux Etats-Unis, les consommateurs avaient acheté pour 1 milliard de dollars d'aliments et de boissons issus de l'agriculture biologique. Au début des années 2000, ce chiffre avait dépassé les 11 milliards. Récemment, j'ai donné une conférence en Grande-Bretagne avec le PDG d' Unilever, la grande firme agro alimentaire. Et j'ai été agréablement surprise de l'entendre dire qu'il voyait l'avenir de l'agriculture dans la multiplication de petites fermes « bios »...

Vous allez bientôt avoir 80 ans, qu'est ce qui vous pousse à parcourir le monde ? N'avez-vous pas envie de vous reposer…

C'est vrai que je suis fatiguée. Mais après chaque conférence que je donne, beaucoup de gens viennent me dire combien mon témoignage les a fait réfléchir à ce qu'ils doivent changer dans leur mode de consommation. Alors même si cela peut paraître un peu prétentieux, je n'ai pas d'autres choix que de continuer... C'est peut-être aussi ma spiritualité qui me donne de la force. Quand je vois le pouvoir des grandes compagnies qui coupent les arbres, détruisent les forêts, répandant les produits chimiques de la terre, je me dis qu'elles ne peuvent pas gagner et détruire la planète. Qu' il y a certainement quelque chose de plus fort, une autre vérité. 

 

A voir :
Le film « Chimpanzés » de Disneynature, à partir du 20 février dans les salles.

A lire :
« La petite fille aux singes » (La Martinière jeunesse, 2013,13,50 euros)
« Nous sommes ce que nous mangeons «  (Acte Sud, 2008 , 8,50 euros)

Article de La Vie