Reportage de RUE 89 sur la production de la viande / et référence au livre de F. Nocilino : Bidoche, l'industrie de la viande menace le monde

18/02/2013 11:34

 

« On produit de la viande comme on fabrique des bagnoles »

Sophie Caillat | Journaliste Rue89

De la viande dans une boucherie (Олександр/Flickr/CC)

En 2009, dans son livre « Bidoche » (éditions Les liens qui libèrent), le journaliste Fabrice Nicolino s’était penché sur les ravages de l’industrialisation de la viande. Aujourd’hui qu’éclate le « Findusgate », ou le « horsegate », comme on préfère, son analyse radicale prend toute sa saveur.


« Bidoche » de Fabrice Nicolino

Le mal semble plus profond que cette histoire de fraude ne veut bien le faire penser : c’est tout notre rapport à la viande qui est à repenser. Pas seulement parce que l’excès de consommation de « produits carnés », comme on dit, nuit à l’environnement et à la santé, mais parce qu’on a perdu le contrôle du système.

Cette affaire en est la preuve et devrait logiquement déclencher une prise de conscience des consommateurs : qui peut se satisfaire de manger du minerai de viande, dont « avant, on n’osait pas faire de la bouffe pour chat » ?

Rue89. Qu’est-ce qui vous frappe dans la crise actuelle ?

Fabrice Nicolino. La crise n’est pas celle qu’on croit. Arrivant après tant d’autres, elle montre que le système de la viande industrielle est en bout de course. Plus personne n’a confiance, mais aucune autorité n’a et ni n’aura le courage de reconnaître enfin que le roi est nu.

La première chose qui m’a frappé, c’est d’entendre Stéphane Le Foll dire à la radio qu’il découvrait « la complexité des circuits et de ce système de jeux de trading entre grossistes à l’échelle européenne ». Mais quelle hypocrisie ! Ce ministre de l’Agriculture, petit-fils de paysan, titulaire d’un BTS d’agriculture, connaît très bien cet univers pour avoir notamment copiné avec Xavier Beulin, le patron de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA)... alors quand il feint de découvrir la lune, il se moque du monde. Il sait très bien comment ça se passe.


Fabrice Nicolino (DR)

Pourquoi fait-il cela ?

Parce que comme tous les acteurs de l’industrie agroalimentaire, il a une trouille bleue de se retrouver face à une crise de l’ampleur de celle de la vache folle. Il a pris des cours de communication de crise, dans le but de calmer le jeu. Et la communication de crise, en cette circonstance, passe par deux trucs vieux comme le monde :

  • désigner un coupable ;
  • et annoncer qu’on va multiplier d’implacables contrôles.

Comme il fallait trouver un bouc émissaire, on a cherché d’abord du côté de la Roumanie, puis de la Hollande, et enfin en France avec Spanghero, au pays basque. Un truand a trahi la confiance, on lui retire l’agrément, et comme on est responsables et efficaces, ça ne se reproduira pas. Tout cela n’a qu’un seul but : calmer l’opinion pour éviter un scandale majeur, qui remettrait en cause des intérêts économiques et financiers gigantesques.

Ce n’est pas une erreur du système mais le cœur du système qui dysfonctionne ?

Bien sûr car on est passé d’une situation où la viande était issue d’un élevage plus ou moins artisanal, où il y avait un contrôle social étroit sur la manière dont les animaux étaient élevés, à une industrie de la viande, avec des abattoirs modernes, des traders, des Bourses, des régions comme la Bretagne devenues ateliers de viande et de lait...

Aujourd’hui, on peut dire que la viande a atteint la perfection industrielle, c’est une industrie mondialisée, qui appartient souvent à des fonds de pension ou des organismes financiers et qui pose les mêmes problèmes que l’économie financiarisée : la nécessité de dégager des taux de rentabilité de 8 à 10%...

Peut-être que Spanghero a été pris à la gorge par ce système. Se plaindre de cela c’est remettre en cause l’ensemble du système industriel.

On va en savoir plus sur cette viande grâce à des tests ADN.

Mais ce n’est pas le problème de savoir si c’est du bœuf ou du cheval ! Cette question-là est psychologique et non sanitaire. Le vrai scandale est de savoir ce que contient réellement la viande, d’où qu’elle provienne. Faire un test ADN est très facile, mais ce qui changerait tout, ce serait de faire des analyses chimiques complètes, et donc très coûteuses.

On se rendrait compte alors que dans l’univers mondialisé, la viande contient quantité de molécules chimiques toxiques, potentiellement dangereuses pour la santé humaine. Tout simplement parce qu’il faut « produire » de la viande le plus vite qu’il est possible, et que les techniques pour y parvenir sont connues : anabolisants, hormones de croissance, antibiotiques qui, dans certains cas, peuvent également doper la croissance des muscles.

Mais on ne fera pas ces analyses, car on serait sûr de trouver des résultats affolants. On produit de la viande comme on fabrique des bagnoles : il faut aller vite, à la chaîne, en réduisant les coûts intermédiaires.

Comment protéger le consommateur européen ?

On ne peut pas. On a créé une créature digne de Frankenstein, un système qui a échappé au contrôle social et moral des humains. Les crédits pour le contrôle ne cessent de régresser, les services vétérinaires sont insuffisants. Et puis on ne peut pas contrôler la viande qui circule dans le monde entier. C’est comme pour les billets de banque, on est obligés de faire confiance, or la confiance n’est plus là.

Je trouve très éclairant l’exemple du MRSA, le Staphylococcus aureus résistant à la méticilline (SARM en français), qui prolifère de manière extraordinaire dans les élevages porcins. Des études aux Etats-Unis montrent que cette bactérie mutante est présente dans la moitié des porcheries.

Une enquête menée aux Pays-Bas prouve sa présence dans 57% des porcheries industrielles et chez 29% des salariés des porcheries. Un article du New York Times, basé sur des chiffres officiels, dit qu’elle a tué 19 000 personnes en 2005 aux Etats-Unis, soit plus que le sida ! C’est une bombe sanitaire autrement angoissante que la viande de cheval roumaine !

Or, on ne cherche pas sa présence de manière active en France aujourd’hui. Pourquoi ? A cause du système verrouillé de cogestion de l’agriculture industrielle, qui mêle depuis cinquante ans ministère de l’Agriculture, FNSEA et industriels ?

Il est nécessaire de sortir de l’élevage industriel, mais je ne connais pas un responsable capable de dire ça. Si Le Foll disait la vérité sur ce système, il sauterait demain matin, bien entendu.

Mais je n’oublie pas que les consommateurs réclament un prix extrêmement bas pour leur alimentation (rappelons que la part de l’alimentation dans le budget des familles n’a cessé de baisser depuis un siècle). Les gens préfèrent avoir trois téléphones portables plutôt que de payer le juste prix pour une nourriture qui les maintiendrait pourtant en bonne santé.

INFOS PRATIQUES
Bidoche : l’industrie de la viande menace le monde

À VOUS !

 
  • Percy Schramm
    Percy Schramm 
    verbes thématiques

    Rue89 multiplie les articles concernant la viande ces derniers jours. Certains pourront trouver que c’est de trop (on ne parle plus trop du Mali dans les médias...) mais il faut une véritable prise de conscience de ce qui se passe dans nos assiettes, une bonne fois pour toute ! 
    Ce journaliste montre que nous les citoyens nous avons perdu le contrôle de notre assiette. Nous avons de moins en moins le contrôle sur nos vies, nous avons de moins en moins de liberté, contrairement à ce que notre société libérale-libertaire voudrait nous le faire croire.

    « Les gens préfèrent avoir trois téléphones portables plutôt que de payer le juste prix pour une nourriture qui les maintiendrait pourtant en bonne santé. »

    Très juste... Des files d’attente interminables pour le dernier joujou d’Apeule à plus de 600€ et les mêmes gens qui vous diront que la viande en boucherie est trop chère pour eux...
    Je ne crois pas, contrairement au discours ambiant, que les gens ont moins d’argent qu’avant (même si la pauvreté est réelle, mais pas apparue ces 10 dernières années...), ils en ont surtout pour d’autres choses (téléphone, internet, satellite etc...). Leurs priorités se sont déplacés et ils cherchent à réduire les coûts ailleurs, notamment la nourriture.
    Si les individus préfèrent mettre leur argent dans des bidules électroniques que dans des aliments qu’ils vont avaler et qui auront un effet sur leur santé, c’est à désespérer... On se livre pieds et poings liés aux industriels et aux politiques, avec le sourire, et en en redemandant.

  • nono le simplet
    nono le simplet 
    élite de rouge

    le monde agricole est entré depuis longtemps dans l’économie de marché mondial ...
    la bouffe est devenue un article comme les autres, qu’on achète, qu’on revend sans même l’avoir vu, qu’on trimbale d’un pays à un autre, d’une entreprise à une autre ...
    et au bout le consommateur qui devient de moins en moins riche ... alors on achète moins cher, de moins en moins cher, de plus en plus loin et quand ça suffit pas, on truande sur la qualité, sur l’origine ...
    les chaînes du froid ne sont plus respectées, on fait de la remballe, on sale à outrance ( le sel est lourd et n’est pas cher ), on rajoute des additifs, on tripote, on malaxe, on mets des colorants, de belles étiquettes, bref, on triche ...
    le commerce dans toute sa splendeur !

  • Joseph Gratteur
    Joseph Gratteur 
    Working class bléro

    L’amnésie générale, plutôt l’hypocrisie présente, concerne aussi toutes les mesures qui ont accompagné la libéralisation et la déréglementation des filières, par les atteintes aux service publics : la diminution des moyens des douanes, la tentative ratée de faire disparaitre la direction de la répression des fraudes mais son affaiblissement patent, l’allégement des moyens de contrôle sanitaire, autant de services utiles que l’on a sabré au nom d’une pseudo rentabilité sur la baisse des dépenses de l’Etat, cela d’autant plus facilement que médiatiquement le fonctionnaire en moins est assuré de l’approbation générale.
    Et comme pour les autres industries, la fermeture de très nombreux petits abattoirs soit disant non rentables que l’on a en fait, délocalisés, à vil prix dans des pays pas trop regardants et sur le droit du travail et sur la santé publique.
    Le politique a été parfaitement cohérent, pendant qu’il déréglementait il favorisait les marges des privés, et neutralisait les éventuels contrôles qui auraient un tant soit peu limité ces dérives.
    Notre bulletin de vote de sert donc à rien, personne ne voterait pour bouffer de la merde, et pourtant, nous en sommes là.

  • Percy Schramm
    Percy Schramm répond à pablico 
    verbes thématiques

    on est un peu comme ça au final...

  • Pas lolo
    Pas lolo répond à Percy Schramm 
    fasciné

    « Leurs priorités se sont déplacés et ils cherchent à réduire les coûts ailleurs, notamment la nourriture. »

    Y a de ça, mais pas que. Vous avez vu les prix des fringues baisser quand on a levé les quotas de textiles chinois en 2005 ? 
    Pour se faire une idée un peu plus précise sur l’évolution du prix de la viande : UFC.
    Le plus drôle c’est qu’on nous expliquait les hausses de prix par les nouvelles contraintes réglementaires.

  • rafioso
    rafioso répond à Percy Schramm 
    paysan

    Et pour produire pas cher il faut produire mal, c’est évident et valable dans tous les domaines.
    Par contre ce qui me scandalise aussi c’est de savoir qu’il existe des fermes où les paysans ne mangent pas de ce qu’ils produisent, et ont par exemple un petit poulailler perso à côté du grand hangar... Ou un bout de ligne du verger soigneusement mis à l’abri du pulvé...
    Ce que ça signifie est évident... Si j’en venais à faire ça je ne pourrai plus me regarder dans la glace, et si avec les copains on est en bio ce n’est pas non plus par hasard (au départ on n’était vraiment pas sûrs d’y gagner financièrement, au final si et tant mieux)
    Aux acheteurs aussi de se renseigner, se donner les moyens de manger correctement et de mettre la pression où ils peuvent pour ne pas se faire empoisonner !