Tuer ou protéger les requins, la question continue de faire polémique

12/05/2013 11:48

 

Tuer ou protéger les requins, la question continue de faire polémique

 


Des gendarmes transportent le corps du surfeur français tué par une attaque de requin mercredi 8 mai sur la plage de Saint-Gilles à l'île de La Réunion.

 

La Réunion est une nouvelle fois le théâtre d'une attaque de squale. Un touriste originaire du Doubs, âgé de 36 ans, a été tué, mercredi 8 mai, alors qu'il surfait à une cinquantaine de mètres de la plage, très fréquentée en ce jour férié. Cette attaque mortelle est la première depuis le début de l'année sur l'île, où les requins ont tué trois personnes en 2012 et 2011.

Lire : Un surfeur tué par un requin à la Réunion

En dépit de cette situation dramatique – le jeune homme était en voyage de noces –, la sénatrice UMP de la Réunion, Jacqueline Farreyrol, a évoqué dans un communiqué l'"imprudence fatale" de la victime : "L'ensemble des spots de surfde l'ouest avaient dressé le drapeau orange requin, la sécurisation des sessions de surf libre avait été annulée en raison du manque de visibilité sous-marine et les maîtres-nageurs interdisaient la pratique de tous les sports aquatiques." Dans l'eau, plusieurs surfeurs avaient également prévenu le jeune homme des risques qu'il encourait.

PRÉLÈVEMENTS "PRÉVENTIFS"

Si la responsabilité du surfeur est clairement pointée, l'accident n'en a pas moins relancé la polémique sur des attaques de requins en augmentation autour de l'île."Il est urgent de réagir avec des mesures concrètes, sinon la liste des tués sur nos côtes risque de s'allonger, s'est indigné une fois encore Thierry Robert, le député-maire (MoDem) de Saint-Leu, dans un communiqué. Dans cette démarche, la seule solution pertinente est d'effectuer des prélèvements préventifs de requins et de requins-bouledogues, en particulier."

 

L'année dernière déjà, la série noire avait suscité une vive polémique entre les scientifiques et écologistes d'un côté, et les surfeurs de l'autre sur les moyens de sécuriser la baignade et les activités nautiques.

 

A l'été 2012 déjà, la série noire avait suscité une vive polémique entre les scientifiques et écologistes d'un côté, et les surfeurs de l'autre, sur les moyens de sécuriser la baignade et les activités nautiques. Des mesures de prévention avaient été mises en place, en particulier des moyens pour financer des postes de "vigies-requin", des nageurs armés de bâtons pointus et d'une arbalète, à bord d'embarcations ou dans l'eau, chargés de signaler la présence d'un squale.

Lire (édition abonnés) : La Réunion relance la chasse aux requins

Mais surtout, l'île a lancé une "chasse aux requins". Le comité régional des pêches, sous l'égide de la préfecture, a ainsi entrepris de capturer, à l'aide de lignes piégées, dix requins-tigres et dix requins-bouledogues, probablement les deux espèces les plus présentes au large de l'île – neuf requins-tigres ont pour l'instant été pêchés. Motif officiel : analyser s'ils sont porteurs de ciguatera, une toxine très dangereuse qui interdit actuellement la commercialisation de leur viande. "En réalité, il s'agit surtout d'en tuer quelques uns pour apaiser les esprits", confie Marc Soria, chercheur à l'Institut de recherche pour le développement (IRD).

MARQUAGE ACOUSTIQUE

Le scientifique coordonne, au sein de l'IRD, le programme Charc, créé pour améliorer les connaissances sur l'habitat et l'écologie des prédateurs. Depuis novembre 2011, 79 requins ont été marqués, c'est-à-dire qu'on leur a inséré, après capture, une balise acoustique dans la cavité abdominale. Relâchés, ils livrent des informations sur leurs déplacements, comportements et habitudes de chasse, des données récoltées par 42 stations d'écoute situées le long de la côte ouest – où ont eu lieu la plupart des attaques depuis début 2011.

"Le dernier bilan conclut que la zone la plus sensible se situe au large du port de Saint-Gilles : c'est elle qui a le plus grand nombre de requins et le temps de présence le plus long, livre Marc Soria. Il se pourrait qu'il s'agisse d'une zone de repos de certaines espèces. Nous devons maintenant caractériser les conditions favorables à leur chasse, comme la qualité de l'eau, la salinité ou les comportements reproductifs des animaux. Et pour étudier les requins, il ne faut pas les tuer."

SANCTUAIRES DE PROTECTION

 

La Nouvelle-Calédonie a décidé d'interdire la pêche aux requins dans l'ensemble de sa zone économique exclusive.

 

Bien qu'ils tuent une dizaine de personnes par an, les squales sont défendus ardemment et leur cause progresse, notamment dans le Pacifique. Ainsi le 23 avril, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie a-t-il décidé d'interdire la pêche aux requins dans l'ensemble de sa zone économique exclusive, soit un havre 1,2 million de kilomètres carré, où se croisent probablement une cinquantaine d'espèces. Cet engagement a été salué sur la scène internationale par la communauté écologiste, peu après celui de la Polynésie française qui a choisi en décembre 2012 de créer les plus grand sanctuaire du monde avec 4,7 millions de km2 de zone protégée. Les annonces se sont succédé à un rythme soutenu ces derniers mois, les Iles Cook, Samoa et le plus petit des Etats de Micronésie, Kosrae, ayant rejoint le mouvement.

Lire : La Nouvelle-Calédonie interdit à son tour la pêche aux requins

Chaque année, plus de 100 millions de requins seraient tués par l'homme, et la plupart des stocks connus ont diminué de plus de 80% depuis les débuts de la pêche industrielle. Près d'un tiers des espèces seraient menacées d'extinction, selon l'Union internationale pour la conservation de la nature (UICN).

BATAILLE CONTRE LE FINNING

Si les squales sont à ce point décimés, ce n'est pas seulement pour leur chair ou parce qu'ils peuvent être pris accessoirement dans des engins de pêche, voire des débris de matériel de pêche. En réalité, ils sont surtout victimes du "finning". Cette pratique qui consiste à découper immédiatement les ailerons et à jeter par-dessus bord la dépouille agonisante coûterait chaque année la vie à 26 à 73 millions de squales, essentiellement à destination des marchés asiatiques.

 

Les requins sont surtout victimes de "finning".

 

La bataille obstinée contre cette forme de pêche, à la fois cruelle et source de gaspillage, commence à porter ses fruits. Le gouvernement chinois a promis que les banquets officiels ne comprendraient plus d'ailerons "d'ici trois ans". Des chaînes de restaurants asiatiques font savoir qu'elles ont choisi d'y renonceraussi, y compris à Hongkong où se concentre la moitié du marché mondial (83 pays y ont expédié plus de 10 millions de kilos d'ailerons en 2011). La soupe d'ailerons reste un mets très prisé des populations en Extrême-Orient. En Europe, en décembre 2012, le Parlement européen a fini par adopter l'interdiction de débarquer des carcasses de requins qui ne seraient pas entières.

Lire : Le Parlement européen met fin à la découpe en mer des ailerons de requin

Dernière avancée : en mars, à Bangkok, les 177 Etats membres de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d'extinction (Cites) ont adopté l'inscription à l'annexe II du requin océanique et de trois espèces requins-marteaux, ce qui permettra d'en contrôler davantage les exportations.

Des espèces de requins vont être protégées